Soudain, je m’éveillai. J’entendis des murmures. Ils venaient du salon, à l’étage inférieur. Je me levai et je descendis l’escalier. Mes pieds effleurèrent lentement les marches, une à une. Ils étaient transparents comme de la glace. Je ne sentais plus le poids de mon corps, pas plus que celui de la chaleur qui m’avait tenue éveillée toute la nuit.

La pensée, huile, ©

Au pied de l’escalier, je me retrouvai devant la salle d’où provenaient les gémissements. J’essayai d’ouvrir la porte. Ma main n’obéissait plus. J’exprimai à mon cerveau le désir d’entrer dans la pièce. La porte s’ouvrit. Une épaisse nuée me voilait les yeux. Je m’approchai de la fenêtre. La nuée se dissipa et j’entrevis un corps allongé sur un lit. Le corps avait l’aspect d’une statue de marbre. Sculpté contre le lit. Près du corps se tenaient des êtres vivants que je reconnus. Je les avais aimés. Profondément aimés. J’essayai de m’approcher. Les toucher. Les consoler. Un voile opaque nous séparait.

J’observai le corps. C’était celui d’une femme. Elle dormait sous un chandelier. Une lueur dansait sur le visage blanc. L’ombre vaacillait au-dessus de ses paupières. Puis, elle lui encerclait les joues. L’ombre sur les paupières. La lumière sur les joues. Puis, la lumière sur les paupières. L’ombre sur les joues. Sa bouche souvrait sur la pénombre. Vestige d’un dernier souffle. Un visage sculpté, froid comme l’ivoire. Les mains inertes reposaient sur la poitrine. Comme deux colombes étouffées. Elle dormait. Des pleurs montaient de l’antichambre.

Je jetai un dernier regard sur les personnages du grand salon. Puis, je quittai les lieux. La porte se referma derrière moi. Mes pieds m’entraînèrent vers un long couloir. Sombre. Au bout, la porte de l’oubli. Elle s’ouvrit toute grande devant moi. J’avançai parmi les tombeaux. Ils étaient recouverts de lettres incrustées de mousse. Entourés de fleurs grises.

J’errai un long moment parmi les pierres. Des noms que je connaissais, d’autres qie je ne connaissais pas apparurent sur des plaques métalliques, au bas des pierres. Je m’arrêtai devant une pierre sur laquelle quatre chiffres étaient inscrits. Ces chiffres semblaient être nés de la pierre. Un personnage venu de nulle part sculpta deux autres chiffres. Je m’approchai. J’aurais voulu lui parler, le questionner. Le voile du grand salon nous séparait. Je ne comprenais pas.

Des hommes sombres franchirent la porte du cimetière. Je les avais précédés. Ils portaient le corps de marbre. Ils le placèrent au pied du monument. Ils furent suivis des personnages du grand salon qui défilèrent devant la pierre. Les personnages lançaient des fleurs rouges sur le corps de marbre. Ils pleuraient et leurs pleurs montaient jusqu’aux nuées. Un enfant déposa un ruban blanc sur le dessus de la stèle. Sur le ruban blanc, un nom était écrit. C’était le même nom que celui du monument.

Les fleurs rouges se mirent à sécher. Elles fanèrent rapidement. Elles tournèrent au gris bleuté. La cohorte déserta les lieux. Les larmes et les murmures cessèrent. Le cimetière redevint silencieux. Je n’osai pas bouger. J’étais subjuguée à la vue des fleurs qui grisonnaient. Le ruban devenait de plus en plus blanc. Il se colla à la stèle.

Je quittai la place. j’empruntai l’allée des solitudes. Je marchai longtemps. Je ne ressentais ni la fatigue, ni la faim. J’arrivai à la porte des chevaux. Elle s’ouvrit, immense, entre ciel et terre. Je suivis un sentier lumineux. Je dépassai les arbres pleureurs. Au bout de l’allée se dressa une cheval blanc. Il me regarda. Il avait un ruban blanc noué autour de sa chevelure. Je crus apercevoir un nom sur le ruban. Je ne pus le lire parce que le ruban ne cessait de tournoyer au vent. Les yeux du cheval brillaient comme des étoiles. Flamme sacrée. Je montai le cheval. Il enroula sa crinière et le ruban autour de mes épaules. De mes cheveux. Il se cabra. Dans un élan fulgurant, il m’emporta. Je faisais corps avec lui. Comme un prolongement de moi-même.

Il survola la nuit. Au-delà de ses sabots, je revis les vallées brumeuses et ensoleillées que j’avais traversées. Le cheval s’arrêta à l’entrée d’une cité. Des hommes incandescents gardaient le seuil. Ils tenaient des épées brûlantes. Les hommes et le cheval se regardèrent. Je ne compris pas leur langage.

Les gardiens ouvrirent la porte. C’était une perle ovale. Le cheval m’entraîna au milieu de la ville. Les rues étaient d’or pur. Le cliquetis de ses sabots martela les parvis infinis. Je vis des êtres vivants. Une multitude. Hommes, femmes ou enfants ? Je ne sais. À la peau de rubis. Aux yeux de diamants. La ville était de pierres précieuses. Le cheval déroula sa crinière. Je me retrouvai debout. Sur la grande Place.

J’étais vivante !

© Cécileb