Chapitre IV, L’étonnant personnage
Bouleversée par la discussion, Sara se coucha près du marais, épuisée. Elle ne pouvait dormir. L’eau faisait miroiter des rayons de clarté malgré l’absence de la lune. Elle entendit des cigales lancer le signal pour le concert de la nuit. Cet environnement amical l’incitait à poursuivre le voyage et à surmonter ses craintes. Elle pensa au Roi, à son fils et aux sujets qui régnaient sur le royaume. Elle éprouva le désir de rencontrer le Roi. «Demain, se dit-elle, je verrai ce que je peux faire.» Surmontant sa peur du noir et de la nuit, elle glissa dans le sommeil, rassurée par la présence de l’iris.
Pendant la nuit, la fillette s’éveilla. Envoûtée par le gazouillis d’un pipeau provenant de l’autre côté de l’étang, elle se leva. Dirigée par la musique, Sara marcha, les bras droit devant elle, comme pour diriger ses pas. Elle suivit un sentier de lumière, à travers le bois, au-delà de l’étang. Elle atteignit une clairière au milieu de laquelle se dressait une immense colonne dont la pointe semblait toucher les voûtes du ciel. Au son du pipeau, de nombreux lutins au corps transparent se tenaient par la main et dansaient autour de la colonne. Au pied de la colonne, Sara crut reconnaître le personnage translucide du pommier qu’elle n’avait pas osé regarder dans les yeux. Ce personnage au visage dévoilé, cette fois-ci, fascina la fillette. Il portait une couronne sur sa tête et une épée à la ceinture, sur son côté droit. Il avait des yeux perçants; des cheveux très noirs encadraient sa figure aux traits carrés. Son visage de bronze transparent irradiait dans l’obscurité pour éclairer la clairière.
Sara, qui ne voulait pas qu’on la voie, s’assit sur une souche non loin de la colonne. Curieusement, pour la première fois depuis son entrée dans le jardin, elle ne ressentait ni inquiétude ni effroi. La musique cessa et les lutins s’arrêtèrent de danser. Un grand calme se fit. Le personnage à la couronne d’or se mit à parler aux lutins. Ceux-ci s’inclinèrent devant lui avec une crainte respectueuse. Sara n’arrivait pas à détourner ses regards du Prince qui demanda:
— À qui pensez-vous, devrais-je confier mon jardin aux iris lorsque j’en aurai délogé Gurthie, une fois pour toutes, et que j’y ramènerai les animaux des autres jardins, entre autres des opossums ?
— Majesté, il faudrait certainement trouver quelqu’un d’honnête. C’est dommage, Votre Majesté, que nous, les lutins, ne puissions plus avoir accès au jardin, parce que l’ennemi de Votre Majesté nous en a chassé !
— En effet ! acquiesça le Prince dont le visage rayonnant éclairait celui de tous ses sujets.
Un grand silence se fit. Les lutins ne savaient plus que dire. Le souverain ne pouvait choisir l’un d’eux pour s’occuper du jardin, parce qu’il voulait que cette responsabilité incombe à un mortel qui aurait reçu le sceau de l’immortalité. Sara sentit son cœur battre très fort. Elle se leva promptement et lança au Prince:
— Moi ! Sire, je me mets à votre service, si vous le voulez bien.
Le personnage royal fut impressionné par la spontanéité de la fillette equi, pour la première fois, signalait sa présence. Les lutins chantèrent:
Fillette, fillette,
Vers la villa, tu marcheras,
Viens, ma sœurette, mignonnette,
Mon palefroi te guidera,
Sous l’acacia, tu danseras.
À peine étonné par la présence de la petite fille, le Prince, heureux, l’invita à s’asseoir près de la colonne et lui dit:
— Je t’attendais ! Sara !
D’une démarche altière, il s’approcha de la fillette. Frappée par son regard, Sara, cette fois-ci, ne cacha pas son visage dans ses mains. Sans expliquer son geste, le Prince tira l’épée de son fourreau et lui fit une incision sur le front. Sur le coup, Sara sentit une douleur aiguë. Mais il déposa un baume sur la plaie et la douleur disparut.
La musique reprit de plus belle. D’autres lutins se joignirent aux premiers et se mirent à danser autour de la fillette. Ils lui firent la révérence, puis disparurent dans le bois. Sara ne comprit pas sur-le-champ la signification de ce rituel. Lorsque la musique cessa, elle se retrouva près de l’étang. Au petit matin, quand elle s’éveilla, sa première réaction fut de se palper le front; elle ne sentit la présence d’aucune marque.
L’iris dormait encore sous sa corolle aux pétales fermés. Le jardin était éblouissant de beauté. Sara bâilla. L’iris se réveilla et déploya toutes grandes ses magnifiques ailes bleues.
— Tu as bien dormi, princesse?
Pour la deuxième fois, on l’appelait princesse ! Sara rougit de gêne. Cependant, elle n’osa pas questionner l’iris à ce propos.
— C’est moi qui t’ai éveillé en bâillant, n’est-ce pas? demanda-t-elle.
— J’ai l’habitude de me lever très tôt pour me rafraîchir dans la rosée du matin. Comme j’étais un peu fatigué, j’ai refermé mes pétales pour somnoler. Et toi, tu dois avoir très faim !
— Oui, en effet, mon estomac gargouille, répondit Sara.
L’iris lui montra un arbre, à quelques pas de là, dans lequel elle put cueillir des fruits qu’elle s’empressa de croquer. Après le repas, la fleur indiqua à Sara un chemin situé entre deux peupliers qu’il lui fallait prendre si elle voulait continuer sa route. Elle lui fit plusieurs mises en garde et, surtout, les recommandations suivantes: celle de ne pas se détourner du chemin ni de regarder en arrière, et celle de ne pas dévisager l’ennemi ni de fixer son feu. Puis, l’iris se tut.
Chagrine de perdre un ami, Sara dut lui faire ses adieux parce qu’il persistait à garder le silence. Elle ramassa quelques fruits qu’elle mit dans la poche de sa salopette et emprunta le chemin que la fleur lui avait indiqué. Derrière les peupliers que lui avait montrés la fleur, elle vit apparaître un lac dont l’eau était si pure qu’on aurait dit du cristal. Sur cette eau claire flottaient de grands cygnes blancs. Une musique envoûtante montait des profondeurs de l’eau, et les cygnes glissaient avec aisance sur ce miroir dans lequel se réfléchissaient leurs plumes comme des voiles blanches.
Elle s’assit près du lac, éblouie par la beauté qui l’entourait. Dès qu’elle fut assise, l’un des grands cygnes aux yeux d’émeraude s’approcha d’elle. D’une voix cristalline, il l’appela:
— Sara !
La fillette sursauta et se releva d’un bond. L’oiseau connaissait son nom ! Tentant de la rassurer, il lui dit:
— Sara ! Mets-toi les pieds à l’eau, avance jusqu’ici et grimpe sur mon dos. Je te conduirai vers le jardin de l’autre côté du lac. Ne me pose surtout pas de questions.
Perplexe, la fillette ne savait trop si elle devait ainsi s’aventurer. Mais le regard doux du cygne lui inspira confiance. Elle monta sur son dos et le cygne rama de toute sa palmure. Le miroir limpide lui renvoyait son image et celle du cygne dont les plumes effleuraient délicatement l’eau. Elle rencontra d’autres cygnes qui avaient tous, eux aussi, des yeux d’émeraude. Ils valsaient sur l’eau au son d’une musique que Sara n’avait jamais entendue auparavant.
L’oiseau et la fillette atteignirent l’autre rive. Le cygne déposa Sara sur la terre ferme et lui dit:
— Courage ! Si tu te trouves en danger, n’hésite pas à demander du secours. Tu peux faire confiance au Roi qui règne sur tous les jardins. Procure-toi le carnet de route et le couteau magique, sur la route étroite qui mène à l’hôtellerie.
Le cygne s’apprêtait à la quitter. La gorge serrée, Sara en larmes, s’écria:
— Grand cygne, j’ai un immense chagrin. Je ne sais si tu peux comprendre !
À cette exclamation, le cygne ne répondit rien. Il regarda tendrement Sara et s’élança à nouveau sur l’eau pour aller retrouver les autres cygnes, sur la rive opposée du lac de cristal.
Chapitre V, De l’autre côté du lac
Abandonnée à elle-même, Sara se demandait ce qu’elle allait faire. Elle recueillit ses perles, puis elle marcha un peu; mais elle revint à l’endroit où le cygne l’avait laissée. Elle ne voyait maintenant que la tête des cygnes qui naviguaient sur les bords de la rive opposée. Elle fit de grands gestes pour attirer l’attention du bel oiseau blanc qui l’avait emmenée dans ce coin du jardin. Peine perdue ! Les cygnes ne la regardaient pas.
Sara poursuivit sa route. Les cygnes disparurent lentement à l’horizon. Elle s’enfonça dans le jardin. Elle traversa un champ rempli de delphiniums, de campanules, de violettes et de plusieurs autres fleurs dont elle ne connaissait pas les noms. Les couleurs d’ocre, de vert olive et de terre d’ombre chantaient. Ces couleurs chaudes se mélangeaient aux nuances infiniment variées des couleurs froides du jardin. L’herbe et les fleurs des champs frissonnaient légèrement sous le vent. Après une longue promenade, la fillette s’arrêta sur le haut d’une colline. Elle remarqua la présence d’un boisé qui, pensa-t-elle, pourrait lui servir d’oasis en cette chaude journée.
Pour descendre vers ce boisé, elle se laissa rouler jusqu’au bas de la pente et vint s’étaler de tout son long au pied d’un arbre. Levant les yeux, elle aperçut, sur l’une des branches, un petit animal suspendu par la queue; il ressemblait à son sac à dos. Comme il avait la tête à l’envers, elle prit la même position que lui pour distinguer les traits de son visage et pour lui parler. Plutôt inconfortable, elle ne put garder cette position très longtemps; c’est donc, en fin de compte, la tête relevée qu’elle finit par lui demander:
— Dis-moi, petit opossum, suis-je sur les terres qui appartiennent au Roi? Si oui, penche la tête du côté droit.
L’opossum pencha la tête du côté gauche. Perplexe, Sara constata que sa consigne n’était pas bonne puisqu’il avait la tête à l’envers. Elle réfléchissait encore à sa façon de s’y prendre pour l’inciter à parler, lorsqu’il ouvrit enfin la bouche:
— Ne fais pas attention à ma posture. Quand je me tiens de cette façon, je vois juste les bons côtés de la vie. C’est une vraie détente pour moi !
Sara éclata d’un rire joyeux. C’était la première fois qu’elle riait depuis qu’elle était entrée dans le jardin. Elle trouva l’opossum drôle et sympathique.
— Lorsque j’ai la tête en bas, poursuivit-il, je peux voir ce que les gens ne voient en général pas du premier coup d’œil.
Sara ne savait trop s’il souriait ou s’il était triste. Lorsqu’il parlait, son front bougeait constamment et elle dut se mettre à nouveau la tête à l’envers, du moins au début de la conversation, pour saisir les expressions faciales de cette charmante petite bête.
— Comment t’appelles-tu? interrogea Sara, heureuse de cette rencontre fortuite.
— Peu importe, répondit l’opossum. Tu peux m’appeler Lucas, si tu veux.
Sara trouva l’idée très bonne, bien qu’elle fut surprise de la curieuse coïncidence des noms. Contrairement à l’opossum que lui avait fabriqué sa maman, celui-ci possédait, au lieu d’une queue de rat, une longue queue épaisse, comme chez certaines espèces d’opossums des terres australes dont elle avait observé les photographies, dans le dictionnaire encyclopédique familial. Elle se disait qu’elle devait être maintenant bien loin de la maison.
— Existe-t-il d’autres animaux dans le jardin? s’informa Sara.
— Oui, répondit l’opossum, plusieurs, et des insectes aussi ! Certains sont des ennemis. Je veux m’enrôler dans l’armée du Roi pour les combattre. Et toi, vas-tu rejoindre nos troupes?
— Euh !… Je… Non… Oui…
— Hourra ! s’exclama avec entrain Lucas.
Il dégringola de l’arbre et s’agrippa à des branches d’arbustes. Exubérant, il poursuivit la conversation et son discours piqua la curiosité de Sara:
— J’ai entendu dire, déclara-t-il, que dans le cinquième jardin, le Roi possède des milliers de villas. Chacune d’elles est gouvernée par un intendant que le souverain choisit parmi ses sujets. Tous les animaux savent que lorsque le dernier mortel, porteur du sceau, aura quitté le quatrième jardin pour entrer dans le cinquième, les jardins se transformeront et retrouveront leur état initial.
— Et comment étaient-ils donc ces jardins? questionna Sara.
— Resplendissants, répondit avec enjouement l’opossum. Les feuilles, les fleurs, les animaux ! Rien ne mourait ! Lorsque le Prince faisait la visite du royaume, tout le monde cherchait à le voir parce qu’il est bon et généreux. Il venait souvent ici. En ce temps-là, personne n’avait envie d’enlever aux autres êtres vivants ce qu’ils possédaient. L’arrogance et la soif de prestige ne régnaient pas en maître. Les animaux et les habitants ne se faisaient pas la guerre. Ils ne mouraient pas. Ils pouvaient circuler librement d’u jardin à l’autre.
— Oh ! Comme ce devait être merveilleux ! s’exclama Sara en poussant un soupir à fendre l’âme.
Elle s’étonna de ce qu’un roi puisse régner sur un si grand royaume. Elle se demandait bien comment elle ferait pour trouver la villa aux lys. L’opossum poursuivit:
— Une belette m’a dit que bientôt, il y aurait un grand rassemblement dans la vallée. Elle sait se tenir au courant des dernières nouvelles et elle s’empresse toujours de les rapporter. Le seul problème est que nul ne sait si cette vallée se trouve dans ce jardin-ci ou dans l’un des autres. Peut-être le Roi sera-t-il présent ! Nous pourrions nous y rendre ensemble, qu’en penses-tu?
— J’aimerais bien, répondit Sara qui, malgré ses appréhensions, désirait depuis un bon moment déjà voir le Roi. Tu accepterais de m’accompagner?
— Oh oui ! s’empressa de répondre l’opossum.
— Alors, j’en suis ravie. Vite, saute sur mon épaule, fit Sara avec enthousiasme, en lui tendant la main.
Chapitre VI, En route pour la vallée
Sara poursuivit son chemin en compagnie de l’opossum assis confortablement sur son épaule. Sous une lumière déclinante, les montagnes commencèrent à découper l’horizon de leur couleur pourpre foncé. Les pieds de Sara s’enfonçaient dans le tapis herbeux que la fraîcheur du soir embaumait. Les oiseaux diurnes firent entendre leurs derniers martèlements. Heureuse d’avoir trouvé un ami. Sara avançait d’un pas léger. Elle rêvait au royaume et à la villa aux lys. Elle se demandait ce qu’elle ferait lorsqu’elle serait en présence du Roi. Elle n’était pas trop certaine de bien connaître les règles d’étiquette de la cour.
— Que peut-on dire à un roi? demanda-t-elle à Lucas, perché sur son épaule.
— Tu commences par faire une longue révérence, répondit l’opossum. Puis, tu attends que le roi pose une question. C’est lui qui doit commencer la conversation. Tu fais semblant de comprendre, même si tu n’as rien compris du tout, et tu te retires en faisant la double révérence.
Sara pouffa de rire en écoutant la naïve explication de son jeune ami qui, de toute évidence, ne connaissait rien aux questions protocolaires lui non plus.
Elle s’enfonça dans le bois. Soudain, Lucas aperçut, à quelque distance de l’endroit où ils se trouvaient, une fumée opaque qui montait vers le ciel.
— Cela n’augure rien de bon, observa l’opossum. Les ennemis du Roi rôdent par ici. S’ils nous voient, nous sommes perdus.
Comme ils se dirigeaient vers le repère, un nuage de fumée commença à les envelopper. Malgré le brouillard et la grande distance qui les séparait encore du tronc d’arbre d’où s’échappait la fumée, Lucas, capable de percevoir ce qui, la plupart du temps, échappe au commun des mortels, reconnut Sinuon, le Prince des cavernes, qui tenait un conciliabule avec ses macaques. L’opossum suggéra à Sara de s’approcher du tronc pour entendre la conversation. Tremblante, Sara rampa à quelques mètres du repaire, prenant bien soin de rester cachée et de ne pas faire de bruit, afin de ne pas attirer l’attention des malandrins. Lucas la précéda, effleurant à peine le sol de ses pattes de velours. Dissimulés derrière un arbre, ils entendirent Sinuon, dénommé aussi Gurthie, qui vociférait:
— Vous avez laissé la fillette pénétrer dans ce jardin? Beau boulot! Je vous félicite!
— Dites-moi donc, vous deux, Golia et Corentin, ne deviez-vous pas surveiller la porte?
— Nous étions au poste, chef, répondirent les deux gardes avec force courbettes devant leur maître despotique. Elle a probablement choisi une autre entrée !
— Nous sommes désolés, chef. As-tu d’autres consignes à nous donner? demanda Golia.
— Vérifiez si elle porte le sceau du Roi sur son front… Disparaissez…!
— Ah ! Yrch ! lança Corentin à l’autre. Quelle enfant stupide ! Décidément, elle est incroyablement naïve ! Elle s’est laissée bernée par les habitants du premier jardin.
— Alors, il faut l’empêcher d’aller plus loin ! cria à tue-tête Sinuon, qui avait entendu la réflexion de son serviteur.
— Oui, maître, répondirent en chœur les deux gardes en tremblant.
Serrant les dents, Sinuon marmotta:
— Si elle parvient à traverser ce jardin-ci avec le sceau sur son front, ce sera un passeport pour les autres jardins, ce qui mettrait notre armée en déroute. Nous devons agir immédiatement.
Lorsqu’il déclara la séance levée, Sinuon marcha jusqu’à l’arbre derrière lequel se trouvaient Sara et Lucas. Il était très grand et vêtu de noir. Sara fut impressionnée. Puis il disparut dans le bois avec ses serviteurs. Aussitôt la fillette se leva et courut dans la direction opposée. Lucas s’agrippa de toutes ses forces à son épaule. Elle dévala une pente à toute allure. Essoufflée et haletante, elle demanda à son petit ami:
— Dis-moi, Lucas, est-ce que tu vois quelque chose sur mon front?
L’opossum l’examina attentivement. Il se posa sur la tête de la fillette pour regarder à l’envers et considérer, à son habitude, le bon côté de la chose, mais il ne vit rien. Sara s’inquiéta:
— Cela signifie-t-il que si je n’ai pas de sceau, je suis à la merci de ce tyran et qu’il peut me tuer?
— Je ne sais pas, Sara. Moi aussi, j’ai… euh ! …peur. Brr… Je crois que ce type-là n’aimerait pas du tout les opossums…!
— Lucas, nous devons absolument retourner dans le premier jardin, là où j’ai rencontré l’iris. Je m’y sentirais beaucoup plus en sécurité.
— Saurais-tu retrouver ton chemin? questionna Lucas, visiblement déçu.
— Je ne m’en souviens plus du tout, répondit Sara.
— Moi, je peux te ramener jusqu’à l’arbre où tu m’as trouvé; mais je ne pourrais pas t’accompagner dans un territoire où les opossums ne peuvent habiter. Dans le jardin des iris, les animaux se font rares parce que le Prince Noir les en a chassés. Comment pourrais-je vivre dans un endroit où aucun de mes semblables n’a accès?
Sara pris conscience qu’un retour en arrière l’obligerait à abandonner ce petit ami qui la faisait rire, et dont la compagnie lui était si agréable. Même si elle ne le connaissait pas beaucoup, elle s’était attachée à lui et l’idée de s’en séparer lui brisait le cœur.
— Si tu retournes là-bas, poursuivit l’opossum, ma vie sera sombre, car je devrai regagner mon arbre. Et là, esseulé comme tous les opossums, je resterai indéfiniment perché sur une branche. La tête à l’envers, j’essaierai de voir le bon côté de la vie, mais lorsqu’on est seul, la vie est monotone, n’est-ce pas?
À ces mots, Sara fut très émue. Elle passa la main dans l’encolure du petit animal et décida de poursuivre sa route malgré tous les obstacles qu’elle pourrait éventuellement rencontrer. Elle se rappela les paroles de la pierre et du cygne; cela lui donna le courage qui lui manquait.
(À suivre)