Écrire, c’est peindre.

Laisser couler les mots sur le papier. Les mots trempés dans l’encrier du nuancier. Prendre le crayon d’un geste naturel. Laisser glisser le pinceau, le trait de crayon. Ajouter les accents. Subtilité de l’aquarelle ! La gestuelle de la main, du bras, puis de l’épaule.

Hirondelle, aquarelle et pastel
Hirondelle, aquarelle et pastel, © Cecileb

J’écris avec mon pinceau chargé de couleur sur une feuille mouillée. Le mot qui se transforme. Une tache jaune. Sur le fond bleu du papier, couleur de mer. Le mot qui contraste avec la pensée. Qui la contredit.

J’ai essayé de peindre la brume. Comment peint-on la brume? Celle qui nous cache les personnes, les objets, les mots. Les jours d’ennui.

Je peins un poème. Pour vous l’offrir, je mélange le bleu outremer. Au carmin fin. L’outremer pousse les vagues sur le rivage. Les points blancs sur le papier, c’est l’écume. L’espace entre les lettres et les mots. Le papier fait suinter le mot. J’aime son odeur. Les lettres sautillent et s’envolent en vapeur de brume. Je regarde les rayons du soleil traverser la brume. Pénétrer l’envers des mots. L’espace autour. Ce qui n’est pas dessiné. Les mots qui disent le non-dit.

La tache sombre qui éclate en lumière, c’est comme «Alice au pays des merveilles». Fantaisie du geste. Prendre son repas avec un lapin. Rapetisser. Se camoufler.Se retrouver au pays de l’étrange. Désorienté. Recréer un univers. Courir dans les antres de la terre. Planer dans les lumières célestes. Boire la potion magique. Se laisser enivrer de mots, de couleurs, de traits noirs et blancs.

Et si la peur de la tache n’existait pas ! Celle que, par inadvertance ou gaucherie, je ne saurais dire, on échappe sur la feuille. La tache sombre sur le fond blanc. L’Irrécupérable et le Merveilleux, tout à la fois. La tache qui crée la nouvelle idée. Celle qu’on se croyait incapable de dessiner. Celle qui fait rêver.

Pinceau divin. Dieu a parlé. La terre fut donnée. l’homme qui la recrée, qui la détruit. L’homme, porte plume de Dieu, sa lettre de chair. Qui parfois  se ferme au divin. Réclame sa liberté. Elle lui échappe. Il cherche d’autres sentiers, d’autres mots, d’autres dieux, d’autres lieux. Il ne sait plus.

Écrire, c’est boire à la Source. Peindre des mots, c’est marcher sur l’eau. Couleur de terre, couleur de mer. Lorsque je regarde la vague, je sombre. Peindre un poème, c’est écrire de la musique. Celle qui était là. Au Commencement. J’aime la poésie qui abreuve. Celle qui coule comme un courant d’eau. Qui souffle, comme une brise fraîche. Dans la grisaille du quotidien. Un lavis sur l’horizon asséché. Dépôt de couleur.

Le mot qui illumine la zone sombre. La loi des contrastes. Mots qui se répondent et qui s’opposent. Le geste spontané. Le contrôlé. Le clair-obscur de la parole. Le coup de pinceau. Qui fait éclater l’onde des mots. Sur le papier lisse. Rugueux. Les mots qui coulent sur le parquet. Ceux qu’on abandonne pour les besoins de la cause. Pourquoi écrire, peindre et dire? Dire, est-ce redire ? Le poète recrée le paysage. Le peintre redit le poème. Avec son pinceau.

Parmi les couleurs, il y a la fugitive. Celle qui échappe au temps. À la plume de l’artiste. Au pinceau de l’écrivain. Aussitôt jetée sur le papier, elle s’élance. Comme un oiseau dans le ciel. Épris de liberté. Le peintre ne contrôle plus son oeuvre. L’écrivain est sous l’emprise du mot. La couleur fuit. Il doit la saisir au bon moment. S’il ne l’attrape pas au vol, elle disparaît. Et lui, il ne s’en souvient plus.

Puis, il y a la sédimentaire. Couleur par dessus laquelle on ne peut mettre d’autres mots. D’autres pigments. Sa lourdeur l’empêche de circuler sur le papier. Elle est pourtant nécessaire. À cause des contrastes. La joie appelle la peine. Le foncé attire le pâle. Le fait vibrer. Une antithèse de couleurs qui chantent. Des mots qui se choquent. Pour saisir l’insaisissable.

Et le voyeur ? Il écoute. Il regarde. Il est ému. Il se demande s’il n’est pas celui qui a eu l’idée. Qui tient la plume. Le pinceau lui appartient. Il peut recréer le poème. Réinventer le paysage. Réarranger les éléments. Refaire les éclairages. Donner libre cours à sa fantaisie. Il s’approprie le mot. Le fait danser. Virevolter. Le pousse aux confins de son imagination. De sa palette illimitée.

Peindre, c’est écrire.

©Cécileb